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mardi 23 janvier 2018

« Désaccord parfait » de Philippe Muray (1985 - 1999)

Préface (1997)

Ainsi le féminisme et l’homosexualité ont-ils gagné : cependant même leur victoire doit continuer à être proclamée en tant que semi-échec, racontée jusqu’à la fin des temps sur le mode de la lutte toujours à recommencer d’une pathétique minorité contre une majorité répugnante (les machos, les pères, les homophobes) dont il n’existe plus, à Cordicopolis, aucun exemplaire en circulation. De même faut-il sans cesse pousser des cris d’alarme contre la prolifération qui a pourtant le même caractère d’évidence à peu de chose près, que la célèbre recrudescence des vols de sac à main dans les salles de cinéma.

La divergence et le désaccord ont été liquidés (…) Quand l’ensemble des confiscateurs de toute parole répète qu’il est merveilleusement incorrect d’être artiste, tout en faisant l’éloge émerveillé de la « création contemporaine », c’est-à-dire de la plus flagrante des soumissions, il faut savoir tirer les conséquences de ce gâtisme rhétorique ; et en déduire, pour commencer, qu’il n’y a plus de réalité (…) A la lettre, et de la manière la plus sinistrement clownesque, le « Prenez vos désirs pour la réalité » de 68 est accompli (…) Ici commence le temps des mutés de Panurge.

Le propre de la critique (1996)

(…) le moins d’affinités possibles avec la désastreuse petite congrégation éditorialo-journalistico-intellectuelle d’aujourd’hui, et qui se sentirait aussi très peu de complicité avec tout ce que raconte notre société, tout ce qu’elle prétend aimer, tout ce qu’elle jette comme « valeurs » congelées sur le marché, tout ce qu’elle est en train d’imposer comme uniformisation terrorisante sous le pathos de son discours de solidarité et d’humanitarisme.

Ce n’est plus le monde, comme autrefois, qui se présente aux romanciers, c’est une version du monde. L’ « observation » du réel, comme on disait jadis, redevient d’autant plus justifiée qu’il s’agit d’un réel reconstruit par les fictions que proposent quotidiennement les médias (…) Les médias sont des grands fabricants de personnages. Comme la pensée mythique dont ils héritent, ils ne supportent pas l’imprécision, le flou, les responsabilités collectives, le hasard, la culpabilité indivise. Il leur faut QUELQU’UN. Un nom. Une personne. Sinon, il n’y a pas d’affaire ! Une bonne histoire spectaculaire réclame un héros typé (…) La plupart du temps, évidemment, le quelqu’un en question incarne très peu et n’éclaire rien du tout, mais ça n’a aucune importance, ce n’est pas la compréhension du monde que poursuit la journalisme planétaire c’est l’effet. Il ne s’adresse pas à la raison, il parle au cerveau reptilien.

(…) le primat des larmes et de l’émotion, mélange radioactif de résidus de gauchisme et puritanisme ; le terrorisme du cœur ; le chantage au moi comme authenticité, comme preuve (et finalement comme œuvre  « il me suffit d’exhiber mes blessures et d’appeler ça de l’art » (…) la confusion organisée des sexes (alors qu’un bon romancier est toujours un très ferme différenciateur des sexes) ; la propagande homophile acceptée lâchement comme style de vie général (« On est tous un peu homos ») ; le devenir nursery-monde du monde, l’infantilisation généralisée (devant l’« intérêt de l’enfant », qui oserait ne pas s’agenouiller ?) ; la vitesse médiatique (…) le modèle du racisme à toutes les sauces (invention du « sexisme » sur le moule du racisme, fabrication plus récente du « spécisme », crime consistant à voir une distinction entre les espèces) (…) la prévention généralisée…

S’il y a aujourd’hui un grand récit possible (au sens du roman à la Balzac ou à la Tolstoï, développant une idée globale de l’époque dans laquelle se résumeraient toutes les complexités de la réalité), il est là, dans cette sinistre épopée de l’éradication systématique, par la corruption émotionnelle ou par la force, des dernières diversités, des dernières singularités, des dernières divergences, des dernières « dissidences », des derniers « accidents » aussi bien humains (…) que naturels…

Dans cette voie de l’abomination intégratrice, les « codes de bonne conduite » des universités américaines nous montrent l’avenir, ces codes où la liste de ce qu’il n’est permis d’évoquer (couleur de la peau, origines ethnique, sexe, penchants sexuels, âge, religion, état civil, culture, séropositivité, sympathies politiques, état de grosses ou d’invalidité)…

(…) regarder ce qui environne sous l’angle de sa destruction organisée par les tours-opérateurs…

L’époque et son roman (1989)

Mais qu’est-ce que les médias, sinon (…) la forme contemporaine de la Rumeur ?

Il n’y a que la mauvaise foi qui sauve (1985)

Ces réflexions sur le catholicisme, vieilles de douze années, furent rédigées non dans l’intention de plaire aux catholiques, mais dans celle de déprimer les cathophobes. Si la sottise catholique n’est pas niable (…) l’autosatisfaction de ses ennemis (la majorité absolue des humains d’aujourd’hui) est un spectacle encore plus quotidien et plus odieux.

(…) l’émancipation sexuelle est la réalisation de la pire des répressions puisqu’il s’agit d’un stade d’égalisation par effacement des différences jusqu’ici jamais atteint, donc aussi de l’enfer inévitable des rivalités entre égaux (entre partenaires, pour commencer, devenus obstacles à la place de la Loi qui jusque-là endossait toutes les responsabilités et faisait ce sale travail d’obstacle pour eux)…

Mon XIXè siècle à travers les âges, c’est ni plus ni moins que la description de l’idéal contemporain, et il crève les yeux que cet idéal est tout ce qu’on voudra imaginer sauf catholique. Il s’agirait plutôt, en fin de compte, d’une sorte de vaste régression totémique à épisodes, au cours de laquelle on eut assister aux multiples et variées alliances de deux facteurs majeurs chargés désormais de soutenir l’individu dans ses nouvelles aventures débarrassées de l’obscurantisme catholique : l’occultisme et les progressismes ou les socialismes…

Désoccultation radieuse, les marées de l’art catholique inlassable contre lequel s’élèveront tous les iconoclasmes et les protestantismes qui ne sont que des prétentions à l’angélisme rationnel. « Si nous étions des anges, nous n’aurions besoin ni d’églises, ni de cultes, ni d’images, mais nous ne sommes que des hommes. Liée à cette lourde chair, notre âme s’élève quelquefois, mais elle retombe bientôt. Il est nécessaire que l’Eglise nous rappelle sans cesse ce que nous sommes toujours prêts à oublier. » (Saint Pierre Casinius, qui savait de quoi il parlait puisqu’il était né en pleine Allemagne luthérienne).

En gros l’hérésie, Bossuet osait encore le dire, consiste à se faire des opinions à soi. Se faire des opinions à soi revient à se bricoler un pseudo-culte qui vous arrange en prenant des petits morceaux de croyances ici ou là et en jetant le reste.

(…) c’est la Vierge en personne, selon la trouvaille des théologiens, qui triomphe des hérésies.

Le progrès des labos brise les chaînes du coït. Grève enfin possible des ventres sans que la possession maternelle en subisse les conséquences frustrantes. Sperme en paillettes, mères porteuses ou donneuses. Valse d’ovules… Plus de danger de rapprochement sexuel grâce à la stérilité guérie !

Par deux fois et d’une façon très rapprochée, j’ai vu récemment mourir deux être qui, pour parler pudiquement, m’étaient chers. Par deux fois, la parole insensée manifestant sa victoire totale sur le sommeil du corps emballé par la mort. Par deux fois, la voix du réveil dans la lumière des saints. Par deux fois, à travers la catastrophe ignoble et l’acharnement de la douleur dans la nuit, la promesse réalisée de la résurrection.

La jeunesse est un naufrage (1989)

De quel abîmes d’illusions lyriques pour scouts en folie nous remonte ce mythe naïf et menaçant où la jeunesse nous est proposée comme « alternative » à l’autre monde, celui des « adultes » ou des « vieux », par principe toujours pourris ?

Le culte de la jeunesse n’est qu’un élément parmi d’autres dans notre univers de Terreur sucrée ou d’euphémisation despotique.

En point de mire de son paysage : les enfants prodiges (Mozart, Rimbaud) ; sur les côtés, quelques épisodes édifiants de l’Histoire récente mais sur lesquels on préfèrerait faire silence (par exemple cent dix mille jeunes de la Hitlerjugend défilant à Potsdam devant Hitler, en 1932, pendant sept heures et demie ; ou encore des cortèges de jeunes fascistes mussoliniens chantant Giovinezza à tue-tête) ; au centre enfin, sur un autel, l’allégorie du Nouveau-qui-a-toujours-raison (credo fondamental des avant-gardes du XXè siècle, dont la moteur aura été le refus de toute transmission ; refus entraînant une fétichisation de la rupture sur fond d’idolâtrie du spontané et du naturel).

Narcophilanthropie (1989)

(…) même si les réseaux, sitôt démantelés, se reforment ailleurs, au moins cela fera-t-il de la matière première pour le cinéma. Aux-Etats-Unis, le polar s’est envolé après la grande Prohibition. Vive donc, et à tout point de vue, l’héroïque croisade des autorités colombiennes contre le cartel de Medellin, elle prépare les sagas palpitantes des écrans de demain.

La colonie distractionnaire (1992)

Les Américains, qui savent ce qu’ils font, n’ont sûrement pas décidé au hasard de venir planter sous ces irréparables cieux leur grande mosquée de la Rigolade permanente, alors qu’ils auraient pu s’offrir pour le même prix tous les soleils de l’Espagne (…) Après d’intenses réflexions (en langage vaseline, ça s’appelle procéder à des études de faisabilité), auraient-ils jugé que nous étions plus mûrs, c’est-à-dire plus morts, que les Espagnols ?

Est-ce vraiment illogique que la Suisse soit aujourd’hui la seule région d’Europe à se montrer réticente devant l’implantation de parcs à thèmes ? « Il n’y a que cet abruti d’Abetz qui n’avait pas compris que les nazis voulaient transformer la France en un vaste Luna-Park », écrivait Céline. Une France vivante, donc non encore complètement « européenne », était-elle compatible avec ce cheval de Troie de la version nursery du monde ?

A Bucarest, dans le musée qui lui était consacré, Ceaucescu avait fait accrocher, à côté de ses titres de docteur honoris causa et des batteries de décorations, son diplôme de « Citoyen de Disneyland » (…) Partout on a compris, et depuis longtemps, que la véritable soumission, la soumission librement consentie, passait par le divertissement.

J’ai sous les yeux une carte terrifique : c’est celle de l’Europe, et elle est destinée à vous convaincre que, quoi que vous fassiez, tous ses chemins mènent ici, au kilomètre zéro, au centre absolu du Grand Marché unifié. N’oublions jamais que le Parc a été baptisé Euro autant que Disney.

La mondification (Autopsie du pacifisme) (1995)

(…) c’est le bon moment pour évoquer le livre de Stephen Koch : La fin de l’innocence (Les intellectuels d’Occident et la tentation stalinienne, 1995). Tout le dossier de la conquête des esprits occidentaux par l’Union soviétique d’avant-guerre, via la griserie pacifiste justement, s’y trouve étalé (…) De la première opération géante d’aide humanitaire internationale (à l’occasion de la famine des populations de la Volga) à la guerre d’Espagne, en passant par l’affaire Sacco-Vanzetti (« Les enfants donnaient leur argent de poche, les travailleurs versaient leur salaire, les philanthropes ouvraient leur carnet de chèques »), on voit frétiller dans le  mirage communiste presque tout le gratin de l’élite occidentale. Pêle-mêle, Dos Passos, George Grosz, Piscator, Malraux, Gide, Brecht, Hemingway, Dorothy parker, Aragon, Sinclair Lewis, Dashiell Hammet, E.E.. Cumming. Pour un temps ou pour la vie (…) Depuis les jeunes intellectuels contestataires de Londres, proche du groupe de Bloomsbury et de Virginia Woolf, jusqu’à l’avant-garde new-yorkaise et Hollywood, presque tout le monde passe un jour ou l’autre à la moulinette à staliniser. Sous le soleil enivrant de la paix à tout prix. Et sans que le problème de la contradiction entre cette paix et le régime soviétique qui en a plein la bouche (…) soit jamais abordé (…) « Son objectif, écrit Stephen Koch, était de susciter chez les Occidentaux non communistes et bien pensants le préjugé politique qui allait dominer toute l’époque : la conviction de toute opinion favorable à la politique étrangère de l’Union soviétique était fondée sur les principes de l’honnêteté la plus élémentaire. »

(…) le mot « paix » ne veut plus dire « victoire du communisme dans le monde entier ». Il veut dire monde entier tout simplement : nouvel ordre mondial, intégration européenne, cohabitation forcée, fraternité obligatoire ente les peuples, suppression de toutes les « discriminations » (jusqu’à la différence des sexes, des âges, des espèces, et plus si affinités). Le nouveau totalitarisme est en grâce. Sa défense de la grande cause de l’humanité en général devrait faire trembler l’homme considéré séparément, au lieu de le réjouir. C’est contre lui que se déchaînent ces forces noires de l’amour. Il n’y a pas de petits détails. La prohibition du tabagisme, la persécution des fumeurs, la prolifération des lois démentes (contre le « harcèlement sexuel », par exemple), le féminisme obsessionnel (avec ses quotas)…

Symptomatiquement, plus la guerre est devenue impossible, plus les citoyens se battent. Disent qu’ils se battent. Viennent sous les projecteurs raconter leur combat.

(…) la mondification. L’homogénéisation du monde. Sa mise aux normes touristiques planétaires par indifférenciation de toutes les manières de vivre et de penser. Son but, ce n’est plus l’interdiction des horreurs de la guerre, c’est le monde visitable. Ce que veut le jeune pacifiste allemand, australien ou anglo-saxon, c’est une France à prix cassés.

La grande battue (1995)

On n’étudie plus les génies d’autrefois. On ne les admire plus. On les débusque. On les capture. On les fourre à l’autoclave, et on voit ce que ça donne (…) C’est aux Etats-Unis que la chasse à l’instinct de mort (cette traque du NON sous-jacent à toute grande création artistique) fait ses plus beaux ravages (…) C’est aux Etats-Unis que le mouvement a pris son envergure industrielle parce que universitaire (…) Féministes, néomarxistes, sémioticiens, déconstructionnistes derridiens mènent l’épuration au pas de charge.

Quelques certitudes bétonnées guident le chasseur contemporain dans ses expéditions punitives :
1) Les « valeurs » au nom desquelles il sévit sont absolues, non seulement pour aujourd’hui et demain, bien sûr, mais surtout pour hier, à la différence des « valeurs » du passé, toujours relatives, et qui ne valaient que pour le passé (…)
3) A tout moment, les artistes d’autrefois sont susceptibles de se voir inculper pour des crimes ou des délits qui n’existaient pas de leur vivant. Nous sommes si fiers de nos « valeurs » que nous les avons rendues rétroactives : c’est ce qui les différencie des lois ordinaires, qui, comme le dit le Code civil, « ne disposent que pour l’avenir ».
Muni de ces certitudes (mais sans cesser de répéter bien fort, comme au bon vieux temps, qu’il est interdit d’interdire), le chasseur contemporain peut partir à l’aventure.

Comme on l’imagine bien, ce souleveur de lièvres, jaillissant de son bureau, tout fier d’avoir bouclé un nouveau dossier d’instruction, et jetant à sa femme : « Chérie, j’ai rétréci Hemingway ! » (ou Heidegger, Flaubert, Brecht, Miller).

A royaume du Bien, la délation est une vertu. Les plus minimes « délits » sont susceptibles, désormais, d’être montés en épingle par nos innombrables « criminographes » pour reprendre une belle expression de Kundera dans Les Testaments trahis.

Les tour-opérateurs de la médiacratie hégédémoniaque…

Touchez pas au grizzly (1988)

(…) les rêves ne sont eux-mêmes que de la parole déchaînée dans le sommeil du corps.

Richard Wagner écrivait à Ernst von Weber, président de la ligue antivivisectionniste, cette lettre que je crois inutile de surcharger du moindre commentaire : « Il serait excellent de faire peur aux juifs, eux qui, de jour en jour, se conduisent de manière plus insolente. De même, il faut faire peur à messieurs les vivisectionnistes ; il faudrait que, tout simplement, ils craignent pour leur vie, et qu’ils croient voir devant eux le peuple, armé de matraques et de  cravaches. » (…) Végétarien militant, Hitler adorait les animaux (…) Aurons-nous la méchanceté de rappeler aux zoophiles actuels qu’une loi gigantesque (plus de cent quatre-vingts pages) fut cogitée par les nazis concernant le droit des animaux…

Comme toutes les œuvres qui font symptôme, ce film [L’Ours], aussi bien que Le Grand Bleu et quelques autres tout aussi atterrants, est éperdument « religieux ». Religieux au sens, bien entendu, d’un retour de religiosité diffuse, « totémique », de spiritualisme de pacotille, de « sacré » de fast-food en dilution dans l’air du temps, et dont on peut trouver d’autres signes à l’infini dans cette fin de siècle : ésotérismes divers, orientalismes de bazar, occultisme en kit, astrologie, tarots, néo-croyances à la réincarnation, développement des « énergies positives », etc.

C’est donc très américain, tout ça. Très écologique. Très « Verts ». Très Greenpeace. Très « forêt primitive ». L’enjeu est toujours le même : il s’agit de nous intimider assez profondément, vous et votre foutue manie critique d’Occidental doutant, dissolvant, trop cérébral donc négatif, pour vous ramener dans la communauté approuvante par des effusions floues, et vous réconcilier avec la germination universelle en éternel retour. Sentiment contre raison.

Œuvres « religieuses » donc, mais dont la religiosité s’oppose radicalement, bien entendu, et comme toujours, aux grandes religions constituées.

Télé et châtiment (1991)

Le programme du nouveau totalitarisme qui grimpe à l’horizon se fonde notamment sur une redistribution complète des rôles autour de la chose sexuelle (celle-ci se trouvant d’ailleurs réduite désormais, la plupart du temps, à ce qu’il est possible de dire du sida : le sida c’est qui reste du sexe quand celui-ci à disparu) (…) Rien ne le démontre mieux, rien n’en constitue une plus belle métaphore que ce qui a essayé péniblement de s’articuler, cette semaine, sur le plateau de « Ciel mon mardi ! », autour de la gravissime question du « harcèlement sexuel » (…) 
L’atmosphère étouffante était parfaitement rendue, autour d’un suspect à masque de bouc émissaire tellement bien imité qu’on finissait par se demander s’il était complètement vrai (…) 
Il était donc venu se faire punir en direct à « Ciel mon mardi ! », ce coupable potentiel, d’être supposé avoir « harcelé », et à tour de bras, mais on n’a pas pu savoir qui. Et il jouait son rôle : il était là, massif, obtus, simple comme un schéma, muet comme un mannequin de cire dramatique censé incarner la culpabilité machiste immémoriale, le crime phallique avec préméditation.

Et personne, bien entendu, pour rappeler d’entrée de jeu que le « harcèlement sexuel » (sexual harassment, en version originale) était une notion venue toute crue des Etats-Unis, ce pays où il préférable d’éviter, par exemple, de regarder une fille dans les yeux si on ne veut pas être accusé d’essayer d’exploiter vilainement ses intimes faiblesses ! (…) Quelqu’un, sur le plateau, a tout de même demandé quelle était la différence entre la séduction (ou la drague) et le harcèlement. Excellente question à laquelle nul participant, bien sûr, n’était en état de répondre : il aurait fallu s’engager dans une discussion ennuyeuse pour définir les limites de la liberté de l’individu, et ce n’était pas vraiment pas le moment. De toute façon, une loi allait être bientôt votée. Ouf !

Moralité : une bonne émission de télé, de nos jours, ne peut plus qu’accoucher d’une loi ou d’un désir de loi (…) En somme, et pour conclure, le comble du spectacle est désormais atteint chaque fois que se trouvent mis en scène les esclaves demandant avec enthousiasme, et dans leur intérêt, l’abolition d’un nouveau fragment de ce qui leur restait encore de liberté.

Linge salle (1991)

(…) la néo-réalité conjugale faite de communication, de dialogue, de respect de l’autre, de reconnaissance du partenaire, enfin de tous les idéaux égalitaires contemporains, comme de juste radicalement incompatibles avec l’érotisme.

La beauté du diable (1993)

Notre société, qui peut se définir comme l’ambition, sur tous les plans, de survivre à la négativité , n’est jamais plus instructive que lorsqu’elle monte en épingle les vestiges de celle-ci.

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