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lundi 15 mai 2017

« Le côté de Guermantes » de Marcel Proust (1913)

On a dit que le silence était une force ; dans un tout autre sens, il en est une terrible à la disposition de ceux qui sont aimés. Elle accroit l’anxiété de qui attend. Rien n’invite tant à s’approcher d’un être que ce qui en sépare, et quelle plus infranchissable barrière que le silence ? 

C’est pour cela que les femmes un peu difficiles, qu’on ne possède pas tout de suite, dont on ne sait même pas tout de suite qu’on pourra jamais les posséder, sont les seules intéressantes. Car les connaître, les approcher, les conquérir, c’est faire varier de forme, de grandeur, de relief l’image humaine, c’est une leçon de relativisme dans l’appréciation d’un corps, d’une vie de femme, belle à réapercevoir quand elle a repris sa minceur de silhouette dans le décor de la vie. Les femmes qu’on connaît d’abord chez l’entremetteuse n’intéressent pas, parce qu’elles restent invariables. 

… je ne vois que cela qui puisse, autant que le baiser, faire surgir de ce que nous croyions une chose à aspect défini, les cent autres choses qu’elle est tout aussi bien, puisque chacune est relative à une perspective non moins légitime. 

…la rue que déjà de mon lit j’entendais crier lumineusement comme une plage. 

… il me semble que dans une société égalitaire la politesse disparaîtrait, non, comme on croit par le défaut de l’éducation, mais parce que chez les uns disparaîtrait la différence due au prestige qui doit être imaginaire pour être efficace, et surtout chez les autres l’amabilité qu’on prodigue et qu’on affine quand on sent qu’elle a pour celui qui la reçoit un prix infini.

Pensez-vous qu’il soit à votre portée de m’offenser ? Vous ne savez donc pas à qui vous parlez ? Croyez-vous que la salive envenimée de cinq cent petits bonhommes de vos amis, juchés les uns sur les autres, arriverait à baver seulement jusqu’à mes augustes orteils ?

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