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vendredi 16 septembre 2016

« L’ambition de Vermeer » de Daniel Arasse (1993)

Il peignait donc entre deux et trois tableaux par an. Rapportée à celle de ses collègues, sa production était étonnement réduite.

… un seul et même collectionneur lui a acheté régulièrement des tableaux. 

… sa situation familiale relativement aisée lui permet de ne pas avoir besoin de sa peinture pour vivre et, donc, de ne pas peindre beaucoup.

… sa pauvreté finale n’as pas été due à la seule mévente de ses tableaux (personnels ou pris sur le stock) ; elle a été due aussi à la baisse des revenus de la famille causée par la guerre (en particulier les loyers fonciers provenant de divers terrains) ; elle a été due, surtout, au coût progressivement exorbitant que représentait l’entretien des onze enfants vivant dans la maison. 

… on ne rencontre aucune figure d’enfant dans les scènes d’intérieur de Vermeer. Une telle exclusion est en elle-même rare dans la peinture hollandaise contemporaine.

[…] jusqu’en 1664 (moment où on finit par l’interner), le beau-frère de Vermeer s’est livré à plusieurs reprises à des scènes extrêmement violentes, allant jusqu’à rouer de coups la femme de Vermeer « enceinte au dernier degré ». Or les tableaux du peintre sont impressionnants par la paix et le calme de leur atmosphère intérieure. 

Il ne s’agit pas d’ambition sociale : ses choix commerciaux l’indiquent, tout comme le fait que mis à part la « Tête de jeune fille », il n’a réalisé aucun portrait. Or le portrait constituait une source de revenus importants et un excellent moyen pour faire connaître son nom dans des milieux susceptibles d’aider à la réussite sociale d’une carrière ; et la quantité de portraits peints en Hollande au XVIIème siècle est considérable. 

… une donnée fondamentale de son ambition picturale : son catholicisme […] Vermeer vient d’une famille calviniste […] à l’occasion de son mariage avec Catharina Bolnes en 1652, il se convertit au catholicisme. 

Par ce cadrage (dans L’Art de la peinture), Vermeer suscite une impression double et paradoxale proximité de lieu, éloignement des figures. 

… le contraste entre la précision avec laquelle sont dépeints les accidents de la carte causés par la lumière et le flou du dessin cartographique proprement dit […] de même que le peintre n’est pas là pour se faire reconnaître, de même la peinture n’est pas là pour faire connaître l’objet qu’elle représente, dont elle « dépeint » la présence dans la lumière. 

Sur les vingt-quatre scènes d’intérieur dont on peut reconstituer la construction géométrique, vingt situent le spectateur en position de légère « contre-plongée » par rapport à la figure représentée.

En abaissant son horizon par rapport aux figures tout en le relevant sur la surface de la toile, Vermeer joue donc comme un double jeu et recherche un effet spécifique vue un peu d’en-dessous, la figure est légèrement monumentalisée mais, conjointement, l’horizon un peu surélevé dans la toile rapproche le spectateur du tableau : […] en haussant son horizon géométrique, Vermeer relève du même coup le sol et surtout, il rapproche visuellement le mur qui sert de fond au tableau. 

[…] « figure d’intrusion » […] vers quoi se porte l’attention de la jeune femme : il peut s’agir d’une présence (masculine ?) supposée à l’intérieur de la pièce […] ou du monde extérieur lui-même, regardé au-delà de la fenêtre par la jeune femme […] chez Vermeer, le monde extérieur et la « figure d’intrusion » (exclus de la visibilité directe) font retour dans le champ pictural sous une double « figure symbolique » du monde naturel et social, la carte géographique et la lettre-missive.

…la présentation de la missive contribue à susciter l’idée d’une inaccessible réserve, d’une privacy.

En excluant progressivement la figure masculine et en « économisant » avec rigueur les allusions associées aux objets relais du monde extérieur, Vermeer obscurcit l’anecdote, il rend moins explicite le sens de l’action dans laquelle est engagée la figure principale…

« Cette pesanteur, cette épaisseur, cette lenteur de la matière dans les tableaux de Vermeer, cette dramatique compacité, cette cruelle profondeur de ton […] nous procurent souvent une impression qui ressemble à celle que l’on éprouve en voyant la surface lustrée et comme couverte de vernis gras d’une blessure ou encore ne voyant, sur les carreaux d’une cuisine, la tache qu’y fait le sang qui tombe et s’étale, sous quelque gibier suspendu » (Vaudoyer, in « L’Opinion », mai 1921)

… le clair-obscur a chez Rembrandt une signification religieuse précise : […] il exprime une « esthétique protestante », fondée sur un contraste formel où prend figure l’opposition inconciliable entre le Ciel et la Terre, le spirituel et le matériel. L’harmonie, l’équilibre et la fusion de l’ombre et de la lumière, partout également répartie, constituent en revanche un fondement de l’esthétique vermeerienne […]. Vermeer concilie les contraires qu’oppose dramatiquement Rembrandt. 

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