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lundi 4 juillet 2016

"Le Mépris, de Godard" de Michel Marie (1990)

Pour le réalisateur, l’univers du cinéma classique, « qui substitue un monde qui s’accorde à nos désirs » est lui-même assimilé à l’univers mythifié de la civilisation grecque, « d’une civilisation qui s’est développée en accord avec la nature » ; comme l’indique Lang. Tout dans « Le Mépris » sera marqué par la perte du monde d’Homère, du seul monde réel, fondé sur « une réalité telle qu’elle se présente objectivement » (Lang).

Retour aux sources vives de la Méditerranée : tel est le sens du voyage à Capri qui évoque évidemment le pèlerinage du couple anglais au bord de la rupture dans « Voyage en Italie », autre source fondatrice du Mépris […] Les rushes vus par les personnages, arbitrairement accompagnés d’une ample musique lyrique, citent très directement les admirables plans des statues du musée de Naples que la touriste anglaise, incarnée par Ingrid Bergman, découvre littéralement bouleversée, dans le film de Rossellini. 

Mais dans « Voyage en Italie », le miracle chrétien peut encore avoir lieu, lors de la découverte des corps du couple enlacé dans les cendres de Pompéi, alors que la tragédie du « Mépris » nous décrit un monde que Dieu a abandonné. 

Bardot, par sa façon d’être et de parler, a poussé Godard à accentuer l’aspect énigmatique du personnage de Camille. Son comportement aux antipodes de celui de Paul, a amplifié le statut tragique du récit, l’a plus radicalement détourné de son origine romanesque en le « dépsychologisant ».
Le film de Godard est une tragédie, au sens plein et classique du terme. Camille ne peut dire pourquoi elle se met à mépriser l’homme qu’elle aimait, car cela ne dépend pas de son vouloir psychologique, de sa conscience humaine. C’est un fait du Destin. 

« Ulysse s’aperçoit alors, mais trop tard, que par sa trop grande prudence, il a perdu l’amour de Pénélope ». (Alberto Moravia, « Le Mépris ») 

… l’importance de la pose chez Camille, du geste arrêté que la caméra fige un instant. Camille est plus qu’un personnage, c’est un modèle mythique.
[…] Camille appartient à l’ordre de la nature […] non profanée par la culture. 
Le jeu d’acteur de Piccoli, par sa façon de parler en saccades désordonnées, s’oppose à merveille à celui de Brigitte Bardot, dont nous avons souligné la constance et la monotonie du débit verbal. Le dialogue de Paul multiplie les questions, les structures interrogatives inachevées. Le désarroi du personnage qui ne comprend plus les réactions de son épouse est exprimé avec subtilité, par la maladresse calculée de Piccoli changeant à tout moment de rythme de parole et de geste. Paul ne sait jamais quelle vitesse adopter ; il arrive avec la nonchalance de Camille puis tout à coup, démarre en trombe, se met à courir… 

A la fin du film, l’infâme producteur sacrifié grâce à la bienveillance de la protectrice d’Ulysse et à la présence miraculeuse d’un camion-citerne, l’auteur dramatique peut retourner à sa vocation initiale et aller écrire ses pièces de théâtre, ou bien sa confession romanesque. 

Godard ne peut concevoir la création cinématographique que comme un rapport de forces, un combat titanesque et mortel entre créateurs et hommes d’argent : « Silence, on tourne ! Silenzio ! » Et la caméra contemple la Méditerranée odysséenne qui n’a jamais été aussi bleue et aussi pure, comme au commencement du monde. 

« Chacun des personnages parle d’ailleurs sa propre langue, ce qui contribue à donner […] la sensation sentimentale de gens perdus dans un pays étranger » (Godard) 

Au blanc s’oppose le rouge. Cette couleur est celle du titre […] mais marque surtout ici le personnage de Camille qui se drape d’une grande serviette rouge, s’opposant ainsi au blanc de Paul. 
C’est, bien sûr, le rouge du mépris, celui de la colère et de la provocation […] le canapé qui doit remplacer le lit conjugal […] la rangée de livres où est caché le revolver […] La chanteuse du Silver Ciné méprisée sans nuance par les personnages, est également habillée d’un chandail rouge. 

"Il n’est pas jusqu’à sa beauté nue qui n’apparaisse aussi avec une splendeur renouvelée parce que Godard l’a respectée, n’a pas joué ni triché avec elle, en visant des alibis et des artifices de révélation-dissimulation habituels ; il l’a imposée et exaltée. 
D’ordinaire, que ce soit en noir et blanc ou en couleurs, la mer est toujours trop bien photographiée avec trop d’art et d’intensité expressionniste. Ici, elle est elle-même, comme B.B. pure et simple, et ça suffit. » (René Gilson)

"Le Mépris n’est pas un film psychologique, c’est une tragédie. Cela veut dire : 1/ Que le destin est en jeu. Et le destin ici, c’est le cinéma. 2/ Que les personnages n’évoluent pas. Ils se débattent contre ce destin, ils s’enfoncent dans leur malentendu. Comme on dit familièrement, « ils se fabriquent leur petit cinéma ». C’est-à-dire qu’ils jouent. Palance joue au producteur, au demi-dieu, Piccoli imite Dean Martin etc… ; seul Lang est lui-même, et c’est pourquoi il juge ces personnages. Il est du côté des dieux.
[…] ces personnages […] se fuient, se perdent dans le cinéma, à cause du cinéma. 

… une œuvre qui suscite une réflexion aussi grave sur le paganisme moderne et sur ce monde du cinéma qui tient lieu de mythologie à tant de nos contemporains. Le paganisme et cette mythologie, « Le Mépris » les dénonce ; il met à jour la tromperie de cet amour sans âme et la solitude intérieure de ces faux demi-dieux." (Jean Collet, 1964) 

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